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Signature de Roland HalbertExplication du sceau de l'artiste

Témoignages d'écrivains

 
 
Lecture du haïkiste Thierry Cazals
05/05/2024

Cher Roland,

Je voulais lire ton dernier recueil à Paris justement, un peu comme Bashô qui rêve de Kyôto tout en étant à Kyôto...

Au début, après avoir lu ta préface (ton avant-lire), je me suis demandé si tu n'avais pas confectionné une sorte de jeu de l'oie (comme Jules Verne avec les différents états des états-Unis, dans Le Testament d'un excentrique) ou de « marelle » (pour reprendre le titre d'un roman de Cortazar, qui a vécu rue Martel, à cinq minutes à pied de chez moi, dans le 10e ), chaque arrondissement de la Capitale devenant une case de ton parcours poétique entre « terre » et « ciel »...

À moins, ai-je songé, que tu te sois donné des contraintes tout oulipiennes et que tu te sois posté à des endroits très précis (comme Perec, au Café de la Mairie, place St-Sulpice) pour humer l'air du temps et traduire l'impalpable atmosphère de Paname en mots...

Mais tu proposes autre chose, une promenade dans les mémoires de Paris, dans ses strates poétiques ou chansonnières (ce qui, au départ, était la même chose), dans ses sédiments littéraires : on se déplace, certes, dans des rues, des boulevards, des buttes, des quartiers divers et variés, des zones post-périphériques, sur des quais (mon endroit préféré à Paris, particulièrement la nuit !), mais aussi et surtout dans des réminiscences, des échos, des refrains, des éclats de chanson, des jeux de mots sur des lieux-dits, des traits d'esprit, bref, dans un Paris fait Verbe (car toute ville, tu l'as senti et nous le fait sentir, est d'abord un langage)...

On croise Nerval (et son homard), Apollinaire, Verlaine, Fargue, Celan, Follain...

Des auteurs, l'as-tu remarqué ?, qui ont connu souvent un destin tragique à Paris : la prison, l'alcoolisme et la déchéance pour Verlaine, le suicide pour Nerval et Celan, un accident de circulation pour Follain (renversé par une voiture au sortir d'un banquet...), la grippe espagnole pour Apollinaire (suite à sa trépanation), les suites d'un AVC pour Fargue (là encore, lors d'un repas au restaurant) etc.

Paris n'est pas tendre pour les poètes. Et pour les porteurs d'étoiles.

C'est une porte souvent fermée, où les fronts, tels des heurtoirs, se cognent pour en faire jaillir quelques lumières...

Ton Paris est un espace de l'entre-deux, entre ciel et terre, une sorte de purgatoire où les poètes errent, se perdent ou musardent (pendant que les « fourmis s'affairent ») à la recherche de leur paradis perdu - celui de l'Avant, de la grande vie à l'air libre, de la pure gratuité, de l'enfance, comme cette fillette qui joue à la marelle parmi les seringues du coin de deal...

Face à l'enfer de la banlieue, avec son réseau dantesque d'autoroutes, de « nœuds » gordiens et de paysages rouillés (qui n'ont rien à voir avec la patine du sabi japonais), tu offres des échappées belles, des éclaircies, l'élan invincible de la Seine qui danse, des issues de secours invisibles pour la foule (j'aime tout particulièrement ton dernier haïku, on se croirait dans un roman d'Abe Kôbô - que tu cites, d'ailleurs).

Bref, tu offres, tel un oiseau de passage, ta dense légèreté.

Car une ville, ce n'est pas que de la matière, un décor bâti à grand renfort de blocs de béton (de blocs d'ennui !), une ville, c'est d'abord ses trouées, ses songes, ses ouvertures, ses courants d'air qui se glissent, ni vus ni connus, entre les quadrillages de ses murs...

Une ville, c'est de l'air, c'est « un air », une chanson qui s'envole à peine entendue et revient sans cesse, toujours la même, toujours différente...

Tes tercets ne se contentent pas d'aligner tristement leurs trois lignes. Ils jonglent avec elles, les dressent comme la flèche de Notre-Dame (récemment relevée !), les étalent en escalier ou en accordéon, dessinent une arche ou la rondeur d'un crâne veillant dans les Catacombes...

Bref, tes mots chantonnent, mais aussi dessinent, donnent à voir, sont non seulement des traces, mais aussi des tracés, des espaces à traverser, des perspectives d'évasion et de retrouvailles...

Les encres de Jule Simon sont très réussies aussi, car jamais platement figuratives. Quelle horreur, les « déjà-vues » de Paris - véritable bouillie de clichés que l'on donne à manger aux touristes !

Jule Simon ne se contente pas de dessiner des contours reconnaissables, il capte des formes, mais surtout le vertige et le déséquilibre de ces formes. Sous son pinceau ou sa plume, la Tour Eiffel devient perchoir à corbeau, le Moulin rouge décolle, les passants sont des oiseaux qui s'ignorent, les HLM sont des piles de boîtes en carton (entassées par la main joueuse d'un enfant), la Seine une grande sphère qui emporte tout avec elle... C'est un très subtil contrepoint.

Voilà, Roland, continue de creuser tes sillons sans ornière...

Amuse-toi, musarde, écoute tes muses...

Laisse-toi inspirer par l'Avant, par l'Après, et surtout par le Maintenant...

Où nous emporteras-tu, la prochaine fois ?

Thierry Cazals
 

 

Lecture du haïkiste Thierry Cazals